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Pourquoi la croissance?

Dans les années soixante, les « Trente glorieuses » symbolisaient l’accès à un monde nouveau, en perpétuel transformation pour un confort toujours accru et des promesses de lendemains encore plus mirifiques1. La croissance s’inscrivait dans les gènes de la société occidentale qui s’érigeait en modèle universel et propageait son paradigme comme une référence à l’ensemble de la planète. A cette aspiration portée par les Nations Unies, se conjuguait les espérances d’un « Tiers Monde » qui devait transformer sa société et ses structures pour partager ces fièvres consuméristes en se dégageant de sa tutelle coloniale. Les spécialistes du développement s’employaient à distinguer méticuleusement les symptômes de la « croissance » qui pouvait se greffer directement sur les sociétés déjà industrialisées, des exigences du

« développement » qui nécessitaient quelques laborieux préalables2. Ils prenaient soin d’ajouter au calcul d’une simple augmentation du PIB national qui définissait la croissance, une notion de processus long et continu aboutissant à une mutation des structures pour caractériser le développement

Mais de cet enthousiasme amoureux envers une courbe de croissance comme le dénonçaient certains thuriféraires du mouvement soixante-huitard, relevait bien des spécificités d’une époque. Certains observateurs avaient déjà souligné que cet engouement pour cette ardente obligation de la croissance était de facture récente et n’avait pas mobilisé l’attention des sociétés agraires qui s’étaient imposées jusqu’à l’orée du XVIIIème siècle. Ainsi Jacques AUSTRUY remarquait que la croissance n’avait pas constitué la référence ordinaire des sociétés dans l’histoire de l’Humanité, mais qu’a contrario, depuis quelque trois siècles, elle constituait le scandale épistémologique de l’évolution des sociétés3. Quant au développement loin d’être une norme sociale atemporelle, il n’avait jusqu’ici concerné qu’une infime fraction de l’humanité que l’on se place dans les temps historiques ou que l’on observe la structuration sociale contemporaine. Bien peu des 80 milliards d’individus que compte l’Histoire de l’humanité, auront goûté les fruits du consumérisme… Aujourd’hui, cinquante ans après ces remarques rétrospectives, c’est en se projetant sur le futur que la croissance est à nouveau discutée en considérant le déséquilibre patent qui surgit avec des capacités d’exploitation des ressources planétaires disponibles devenues surpuissantes. Plusieurs paramètres interfèrent et rendent illusoire la diffusion du modèle consumériste contemporain à l’ensemble de l’humanité :

  • Les bouleversements démographiques : en quarante ans (1960 2000) la population mondiale passe de 3 à 7 milliards et devrait croître de 3 autres milliards dans les quatre prochaines décennies ;
  • L’explosion du consumérisme : le PIB mondial croît depuis ses 40 dernières années au taux de 3 %, soit un doublement en vingt ans et un quadruplement en quarante ans ;
  • La prise en considération indispensable des excès de prélèvement de la société industrielle et de l’expansion consumériste qui annoncent un épuisement de la planète terre et un bouleversement de ses équilibres écologiques

1 FOURASTIE Jean, (1979), « Les trente glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975 », Fayard. Le rythme de croissance s’élevait à 5 ?5 % en moyenne, très différent de celui qui le précédait à la Belle Epoque (2 %) ou dans l’entre-deux-guerres (1 %), chutant à moins de 2 % après les chocs pétroliers de 1974. FEIERTAG Olivier « L’apogée de l’économie nationale », La Documentation Française, N° 8081, 2011.

2 PERROUX François, (1961), « L’économie du XXème siècle », PUF.

3 AUSTRUY Jacques, (1965), « Le scandale du développement », Marcel Rivière. 

Or l’ampleur du rattrapage qu’il faudrait instantanément réussir pour que tout le monde accède au niveau de vie californien devient extravaguant au regard des ressources : une multiplication du PIB et des demandes d’énergie et de matières premières subitement multipliées par 6 ! Cet impact sur la nature ne pouvait apparaître au début de l’ère industrielle, la population mondiale ne représentait même pas le dixième de celle d’aujourd’hui, la Nature pouvait apparaître comme une ressource inépuisable. 

La croissance fait aujourd’hui question, elle entraîne des débats aussi passionnés qu’alarmistes, provoque des succès intarissables de littérature en évoquant le frisson de la décroissance4 et parsème tout discours politique qui ambitionne de camper sur des positions responsables en se cadrant sur des référents écologiques, mais tout comme les inquiétudes initiées par le Club de Rome5 ont été vite submergées par d’autres préoccupations plus immédiates relatives au chômage massif, les discours des édiles développent aux alinéas suivants une ode à la croissance pour résorber la situation calamiteuse des sans emplois. 

Si la croissance semble être bordée dans le temps, d’une part au passé, par son absence dans les référents des paradigmes des sociétés agraires, et d’autre part au futur, par l’extrême danger qu’elle engage sur les équilibres des ressources planétaires, son concept n’appartiendrait alors qu’à une phase très délimitée de l’Histoire. La question qui nous taraude, est de savoir dans ces conditions pourquoi la croissance est-elle devenue une exigence primordiale et indispensable des sociétés industrielles et consuméristes ? Cela soulève une série de questions dérivées : Pourrait-on simplement glisser d’une logique contemporaine de développement soutenue par la croissance vers une société en état stationnaire, tout en préservant le principe de notre civilisation consumériste ? Le fait que la notion de croissance ne soit pas associée aux dix mille ans de société agraire, nous interpelle. Et si cette croissance était l’un des chaînons indispensables au maintien de la société consumériste ? Dans cette optique, les trois petits siècles de civilisation industrielle, ne seraient-ils qu’une parenthèse de l’humanité, un embranchement mortifère, une bifurcation imprudente ? Nous pourrions nous interroger avec Jean-Paul FITOUSSI : la croissance a-t-elle un avenir ?

Ce questionnement sur les fondements de la croissance nous incite à vérifier d’une part, l’absence de liens organiques entre les sociétés agraires et la croissance et d’autre part, à mettre en évidence l’inclusion de la croissance dans les gènes mêmes de la société industrielle en mettant en exergue les modalités de sa mise en oeuvre. 

A – L’ABSENCE DE LIENS ORGANIQUES AVEC LES SOCIETES AGRAIRES

On peut relever plusieurs éléments qui justifient la mise à l’écart du processus de croissance dans les fondements des sociétés agraires. On les mettra en exergue pour les plus symptomatiques : l’effet de seuil valorisant un état stationnaire, la prédation systématique du surplus par le Pouvoir pour maximiser sa puissance, l’appartenance identitaire au groupe renforçant la sécurité, mais sapant toutes initiatives individuelles.

L’effet de seuil La croissance ne pouvait pas faire partie de l’horizon des sociétés agraires qui ont structuré pourtant dix millénaires de l’histoire de l’humanité. Nous allons voir pourquoi. Si l’on considère que toute communauté se met, une fois réglée la question sécuritaire, 

4 LATOUCHE Serge, (2006), « Le pari de la décroissance », Fayard, p. 214 et GESUALDI Francesco, (2005),

« Sobrieta, Dallo spreco di pochi ai diritti per tutti », Feltrinelli, Milan, p. 54 avec son objectif de sobriété :

« Réduire, Réutiliser, Réparer, Recycler, Ralentir ». ARIES Paul, (2008), « La décroissance : un nouveau projet politique », Golias.

5 DELAUNAY Janine, MEADOWS Donella, (1972), « Halte à la croissance ? Enquête pour le Club de Rome », Fayard.

à cultiver les champs les plus rentables à sa portée, il en découle mécaniquement une mise en culture de terres de moins en moins fertiles sous l’effet de la croissance démographique. Cette détérioration des résultats se poursuit jusqu’au moment où la dernière unité de terre mise en culture sera juste satisfaisante pour nourrir le cultivateur et sa famille. Si la population venait encore à grossir, les agriculteurs supplémentaires ne récolteraient pas suffisamment de produits vivriers pour nourrir leur famille. Cette analyse a été parfaitement exposée par David RICARDO sous le terme de rendements décroissants7. En supposant la société solidaire, c’est en fait une valeur transversale qui corsète les civilisations agraires, les excédents des uns pourront venir compenser les déficits des autres si la dynamique démographique devenait hors contrôle. Mais si la population croît encore davantage, il arrivera un stade où les excédents des meilleures terres ne seront plus suffisants pour compenser les déficits accumulés. Aucune division du travail n’est plus possible et au-delà, la société bascule dans la disette laminant les effectifs de la population et l’exposant aux affres épidémiques. Une communauté peut donc croître dans une certaine aisance alimentaire jusqu’au moment où le dernier cultivateur récolte la contrepartie vivrière exacte de ses besoins familiaux. Mais qu’en est-il du surplus des exploitations les plus fertiles ? Nous pouvons noter que celui-ci sera maximisé lorsque la dernière unité de terre mise en culture ne produira aucun excédent. A quoi pourra-t-il servir ? Il pourra être affecté à nourrir des populations retirées de l’agriculture et sera le curseur de la division sociale du travail8. Celle-ci donnera les moyens de bâtir une civilisation avec son organisation administrative, son clergé et ses artisans. En maximisant le surplus et en stabilisant la société à ce niveau, on fournit l’occasion de pérenniser une civilisation. Ni la croissance indéfinie de la population, ni la recherche d’un progrès technique n’interfèrent dans les valeurs des sociétés agraires, seule s’impose la nécessité de collecter au mieux ce surplus. Le Prince exerçant avec le plus d’efficacité ses capacités de prédation se donnera les moyens d’ériger les marques d’une civilisation. 

L’idéal d’une société ne se réfère pas à la croissance, mais à un âge d’or à établir ou à rétablir pour s’abandonner à cet état stationnaire idéalisé. La poursuite de la croissance démographique ne pourrait conduire qu’au déclin. La Bible lorsqu’elle enjoint l’Homme de croître et de se démultiplier, le fait dans la Genèse, mais s’en garde bien par la suite9. Seule le progrès technique peut déverrouiller ce plafond au-delà duquel s’enclenche la réduction des capacités de division du travail, le déclin de la civilisation, les affres de la disette et les coupes mortifères de population. Ces sociétés sont alors englouties comme le narre Jared DIAMOND10 par une surpopulation qui rompait déjà les équilibres écologiques. Ces catastrophes récurrentes frappaient les sociétés qui n’avaient ni su maîtriser leur croissance démographique, ni être suffisamment inventive pour permettre à la productivité agricole de faire un saut technologique. Il aurait fallu qu’elle mette au point des institutions aux effets malthusiens ou qu’elle dégage une plus grande productivité par unité de terre cultivée. Cela fut obtenu quelques fois avec la prise de conscience aigue des menaces de disparition11, mais la plupart du temps, les civilisations connaissaient le cycle funeste des civilisations avec leur émergence, leur zénith, puis leur effondrement.

7 RICARDO David, (1977), « Des principes de l’économie politique et de l’impôt (1817) », Flammarion, Coll. Champs.

8 ALBAGLI Claude, (1989), « L’économie des dieux céréaliers », L’Harmattan.

9 En près de deux millénaires, la population mondiale n’a progressé que de 250 millions (début de l’ère chrétienne) à 650 millions (début des révolutions agraire et industrielle), en deux siècles, la population passera de 1 milliard (1800) à 7 milliards (2000)….

10 DIAMOND Jared (2006) « Effondrement, Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie », Gallimard, NRF, Essais. 

Les sociétés agraires n’avaient pas les moyens d’élaborer une idéologie de la croissance, les innovations restaient aléatoires et lorsqu’elles intervenaient, elles permettaient à cette société de se stabiliser à nouveau avec ces nouvelles composantes qu’elle diffusait par capillarité à l’ensemble de son territoire. Le mécanisme qui tend à conjurer la disparition par des innovations restait donc très aléatoire et ne faisait qu’en différer l’échéance. L’idéal restait l’état stationnaire. Si la croissance démographique d’une communauté émergente pouvait s’expliquer pour atteindre la taille critique en vue d’une affirmation militaire12, elle devenait un problème si des institutions n’étaient pas en mesure d’en freiner la dynamique. La mise en place d’institutions sociales aux effets malthusiens permettait de réduire la dynamique démographique d’autant que la mortalité frappait un enfant sur deux avant l’âge de cinq ans (dote favorisant l’écart de génération des époux, allaitement impliquant l’espacement des naissances, vocation religieuse favorisant le célibat d’une fraction de la population, …). En fonction d’un état donné de la fertilité des sols, d’un niveau technologique atteint dans les pratiques agricoles et de la portée des institutions sociales sur la tempérance démographique, une civilisation se dotait des moyens de perdurer avec plus ou moins d’efficacité. La question n’était pas comment faire croître la prospérité, mais comment se doter de la plus grande puissance. Il fallait donc se stabiliser sur ce seuil de maximisation du surplus, la difficulté était grande, mais cela impliquait que le surplus devait bien apparaître dans sa totalité potentielle et qu’on soit en mesure de le transformer en marques tangible d’une civilisation. Pour cela, il ne s’agissait pas d’envisager l’amélioration du niveau de vie des populations, mais d’assurer sa captation et son contrôle pour transformer les grains en édifices consacrés aux dieux, aux Princes et au trépas… autrement dit maximiser la Puissance, au lieu d’accroître la Jouissance… 13 

La prédation du surplus – L’optimisation sociale des sociétés agraires est fondée sur la maximisation du surplus afin qu’il soit dérivé par le Pouvoir dans une logique de puissance. Le Pouvoir est un agent prédateur qui va, par ce stratagème, faire émerger une civilisation. Il faut pour cela s’assurer un enchaînement réussi de mécanismes qui s’étendent de la production des céréales jusqu’aux marques monumentales d’une civilisation. Il faut en premier lieu qu’une organisation sociale soit stabilisée pour obtenir régulièrement la production agricole nourricière, il faut ensuite que le Pouvoir constitué justifie le prélèvement et l’appropriation des excédents produits par les agriculteurs, il faut ensuite qu’il parvienne à agréger l’ensemble de ces surplus au siège de sa puissance, enfin, il faut qu’il sache retirer une fraction de la population des tâches agricoles pour lui enjoindre de créer le cadre structurel (administrateurs, artisans, esclaves) et idéologique (clergé) en étant nourri par les surplus prélevés. La logique agraire revient à confiner une fraction de la population dans sa tâche nourricière, à réussir pour le Pouvoir à dériver les excédents frumentaires à son profit, à parvenir à les agréger avant d’en assurer la transmutation en marques tangible d’une civilisation. Stabiliser, prélever, concentrer, transmuter apparaissent comme les mots clefs, nulle croissance n’interfère comme logique 

Si sur un territoire donné, la population qui peut y survivre, dépend des techniques agricoles et de la fertilité des champs, la communauté « utile » pourra croître jusqu’à un certain seuil pourvu qu’une fraction assure en permanence les fonctions nourricières indispensables. Il en résultera la nécessité de fixer les populations par un statut déterminant classes ou castes héréditaires : ceux qui nourrissent, les plus nombreux, ceux qui prient, les plus

12 Souvent, il s’agissait de confisquer les femmes de ses adversaires ce qui avait le double avantage de les affaiblir en les privant de capacités de reproduction et en renforçant celle du vainqueur par la polygamie. L’exemple emblématique reste l’enlèvement des Sabines par les Romains de la première génération du temps de Romulus. L’enlèvement des Sabines est relaté par TITE-LIVE « Histoire Romaines », DENYS D'HALICARNASSE « Antiquités romaines » et PLUTARQUE « Vie de Romulus ».

13 ALBAGLI Claude (2001), « Le surplus agricole, De la puissance à la jouissance », Coll. MES, L’Harmattan. 

prestigieux, ceux qui protègent, les plus puissants14. La structure sociale stratifiée doit permettre une reproduction à l’identique. La classe nourricière devra rester la fraction la plus grande compte tenu des performances réduites des sociétés agraires. Au cours de dix mille ans de sociétés agraires, aucune d’entre elles n’est parvenue à dégager plus de 25 % d’excédents15. Cela signifie que la division sociale du travail ne pouvait pas excéder ce pourcentage sous peine d’engager la famine. Ce plafond obtenu par les plus performantes est demeuré indépassable. Il rendait impossible et inenvisageable toute émergence industrielle tant qu’une révolution agricole préalable n’assurait une productivité plus élevée capable de nourrir un exode rural vers les manufactures. Ainsi, les aspirations de ces sociétés n’étaient nullement consignées dans des préoccupations individualistes de bien-être. Une telle lecture rétrospective ne serait qu’anachronique. La division du travail n’avait pas pour objet de répandre quelques bienfaits dans l’amorce de la civilisation consumériste, mais d’élaborer une logique de préemption des excédents pour maximiser la Puissance du Prince, ordonnateur d’une civilisation. 

Le surplus de chaque unité familiale est au demeurant trop faible pour susciter un quelconque intérêt : il n’offre aucun potentiel pour améliorer son sort. Par contre, une fois confisqué et agrégé, il pouvait prendre une taille significative et opérationnelle. La dérivation par le Pouvoir allait être une affaire essentielle. Comment pouvait-il y parvenir ? Le Pouvoir n’avait aucune aptitude à s’ériger en aiguillon des capacités productives, mais voulait exceller en simple prédateur. Mieux il y parvenait, plus il était capable de distraire des champs une frange de population, nourrie par les excédents confisqués et affectée à des tâches « civilisatrice ». Il pouvait s’assurer une légitimité prédatrice en associant les sources de son pouvoir aux croyances religieuses qui sacralisaient sa fonction et rendaient peu contestable son autorité. S’opposer au Prince, c’était quelque part contrecarrer la volonté divine qui légitimait le pouvoir et s’engager dans quelques difficultés vraisemblables dans son devenir post-mortem, la grande affaire pour une existence terrestre très fugitive de quelques décennies. Contester la prédation du Prince pouvait mettre en péril son avenir dans l’au-delà. Le résidu que constituait ce surplus n’en valait pas la menace. D’ailleurs, si cette crainte n’était pas suffisante, le recours à la contrainte militaire permettait d’obtempérer pour les plus récalcitrants… 

Lorsque le Pouvoir était parvenu à dériver les ressources que constituait le surplus, il lui fallait nécessairement agréger cette infinité de micro-surplus collectés pour en faire une masse significative. Faute de quoi, il n’avait plus qu’à pérégriner d’une place à l’autre pour consommer avec sa soldatesque et sa cour les surplus confisqués sans pouvoir les transmuter en marques civilisatrices. Il en fut ainsi avec les souverains mérovingiens qui n’ont guère laissé de traces. Pour s’assurer cette concentration, une seule hypothèse rendait cet objectif opérationnel : profiter d’une voie d’eau qui assurait à faibles coûts et en grande quantité le transbordement des récoltes frumentaires d’une région à l’autre. On sait le rôle essentiel jouait par le Nil pour drainer les ressources frumentaires jusqu’à Thèbes, on connait le rôle du Grand canal pour faire remonter au Nord de la Chine, les récoltes des plaines méridionales, on a mesuré le rôle essentiel de l’Euphrate dans les civilisations mésopotamiennes. L’agrégation transformait une multitude de résidus en une masse susceptible d’asseoir une civilisation. Il suffisait d’utiliser une quantité d’hommes équivalente aux capacités nutritives du surplus confisqué pour les engager à édifier une œuvre monumentale : temples, tombeaux et palais. Leur magnificence confortait davantage la légitimité du Prince qui avait réussi à transmuter de simples grains céréaliers en marques identitaires colossales du peuple qu’il gouvernait. A ce stade, la civilisation édifiée ne pouvait rêver que de perdurer dans l’idéal d’un état stationnaire. L’âge d’or n’incluait aucune croissance dans cette perspective.

14 DUBY Georges, (1978), « Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme», Gallimard & DUMEZIL Georges, (1982), « L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens », NRF.

15 BAIROCH Paul, (1992), « Le tiers monde dans l’impasse », Poche.

L’appartenance au groupe – Mais pourquoi donc le progrès technique n’était-il pas recherché pour accroître davantage le surplus ? Il ne semblait pouvoir intervenir tout au plus que lorsque la société se trouvait submerger par une dynamique démographique incontrôlée qui risquait de la submerger, comme l’explique Ester BOSERUP16. Les sociétés agraires valorisaient essentiellement la notion d’appartenance au groupe dont la valeur apparaissait considérablement plus grande que celle dédiée à l’individualisme. Il y avait de bonnes raisons pour cela. L’équilibre vivrier était précaire, le surplus à la merci d’une variation climatique. Le dispositif d’une fraction sociale assignée à la nourriture de toute la société n’exemptait pas de risques de variations des récoltes. Dans ces conditions, la logique solidaire constituait un recours davantage garant de la survie que l’individualisme. Les risques vivriers d’une innovation hasardeuse rendaient l’expérimentation dangereuse pour subvenir à ses besoins alimentaires et faisaient préférer des usages et des techniques dûment expérimentés. Mieux valait s’en remettre à la puissance divine pour interférer dans les variations climatiques. Si le sort n’était pas favorable, pour tempérer ce qui était ressenti comme une sanction divine, il restait cette solidarité du groupe et sa répartition des ressources pour survivre. Si la densité démographique se renforçait au-delà d’une maximisation du surplus, trois voies salutaires s’offraient :

  • répartir le surplus pour la survie des cultivateurs insuffisamment productifs, mais c’était restreindre le surplus net disponible et s’engager dans le déclin de la civilisation,
  • inventer une technique ou recourir à une nouvelle plante permettant d’accroître la productivité agricole et donnant la capacité de supporter une population plus nombreuse,
  • pratiquer l’ostracisme d’une fraction de la population à la suite du conflit que ne manque pas de provoquer la raréfaction du surplus 

Ainsi l’individu n’est rien dans les sociétés agraires, il n’existe que par référence à son groupe17. Cette disposition se révèle très contraignante, car elle assujettit chacun au dispositif des règles, des normes et des coutumes qui constituent un carcan ne se prêtant qu’exceptionnellement à l’innovation. L’argumentaire est d’ordre mystique et la volonté de Dieu ou des dieux régente l’ordre social sans que quiconque puisse y déroger sous peine d’ostracisme ou de mort. Chacun l’accepte ordinairement pour ne pas remettre en cause les règles de l’échange solidaire et compromettre son accès post-mortem aux promesses paradisiaques. Ce dispositif se complète d’un Pouvoir régalien sourcilleux de ces prérogatives puisqu’il tire sa légitimité de la puissance divine. Il serait donc dangereux de déroger aux règles émises par le Prince, ne pas s’y soumettre expose le contrevenant aux foudres du Pouvoir ainsi qu’aux damnations célestes et à sa mise à l’écart sociale18. 

Ainsi, nous pouvons comprendre pourquoi les sociétés agraires n’étaient en rien attachées aux spasmes d’une croissance possible, mais regardaient l’état stationnaire comme un idéal. Cette idée était tellement ancrée dans les mentalités que lorsque les premiers auteurs de la pensée économique décrivirent l’émergence de ce concept de croissance, ils précisaient que les caractéristiques de cette phase ne pouvaient être que passagères et transitoires. Ils se livrèrent alors à de longues analyses montrant le caractère provisoire de cette phase et l’avènement inéluctable d’un retour de l’état stationnaire. S’ils avaient perçu toute la nouveauté des nouveaux

16 BOSERUP Ester, (1970), « Evolution agraire et pression démographique », Flammarion.

17 On relèvera cette difficulté dans le monde contemporain où les lois de la démocratie sont fondées sur le libre arbitre individuel. Or dans les sociétés en transition, l’appartenance au groupe reste une valeur plus prégnante qui fausse le jeu électoral et renforce les rivalités ethniques au sein de jeunes Etats où la communauté nationale n’est pas encore totalement établie.

18 Cette structure mentale et sociale sera tellement prégnante au sein des sociétés que lorsqu’on voudra faire naître les arbitrages du suffrage universel pour départager les ambitions pour le pouvoir suprême, on regardera davantage l’appartenance du candidat que son programme. Le principe démocratique aura du mal à s’imposer avec une voix/un homme avec son libre arbitre. Pire, le processus de la désignation élective du pouvoir réveillera les antagonismes de groupe et favorisera la résurgence des antagonismes tribaux, claniques ou régionaux au sein des jeunes nations.

mécanismes, ils ne se dégageaient pas d’une constance millénaire rivée aux équilibres d’un état stationnaire19. 

B – L’INCLUSION DE LA CROISSANCE DANS LES GENES DE LA SOCIETE INDUSTRIELLE 

La croissance fait partie intrinsèquement de la société industrielle qui a émergé au début du XVIIIème siècle. Les auteurs Classiques n’avaient pas imaginé sa pérennité. Elle ne constitue pourtant pas un adjuvant su nouveau système, mais une matrice fondamentale. L’idéal des sociétés consuméristes est une extension sans exutoire. L’émergence de la société industrielle bouscule l’ordre millénaire sur un point essentiel : la croissance. En stratifiant le corps social dans diverses fonctions pour couvrir les besoins alimentaires, les sociétés agraires assurent le renouvellement à l’identique d’une demande qui peut se réitérer indéfiniment si la poussée démographique ne vient pas perturber cet ordonnancement. La satisfaction du besoin vivrier d’un individu conforte la probabilité qu’il sera à nouveau demandeur. L’enjeu est différent quand le système de production porte sur des biens manufacturés. Lorsque des consommateurs obtiennent satisfaction pour un besoin manufacturé, ils n’ont plus besoin de retourner chez un fournisseur pour renouveler leur demande tant que le bien n’est pas usagé ou brisé. La demande acquiert ainsi une caractéristique totalement novatrice : dans les sociétés agraires, c’est la satisfaction du besoin vivrier d’aujourd’hui qui est garante de son renouvellement, pour une société manufacturière, la satisfaction du besoin d’aujourd’hui provoque l’extinction de toute demande ultérieure du même bien, au moins pour un certain temps. Comment alors bâtir une structuration sociale sur des bases aussi fragiles et furtives. La saturation d’une demande n’appelle plus de nouvelles productions et provoque l’inadaptation de l’organisation sociale mise en place. Pour dépasser cet inconvénient majeur, la seule réponse qui fut trouvée fut la croissance. Cela s’illustre sous quatre aspects majeurs : l’engrenage de la concurrence au sein des marchés qui pousse les acteurs à innover pour l’emporter, l’arbitrage en faveur du travail lorsque la productivité aurait pu rendre disponible du temps libéré, la convergence qui place toutes les sociétés dans une histoire commune où les plus avancées ne sont que la préfiguration de celles qui le sont moins qui doivent les rattraper. Au final, c’est bien la cohérence d’une demande stabilisée et auto-renouvelée des sociétés agraires qui s’oppose à la fuite en avant d’une croissance incessante. La croissance semble seule de nature à pouvoir dépasser l’instabilité d’une demande. 

La croissance pour affronter les lois du marché et la concurrence – L’émergence industrielle rendue possible par une révolution agricole soulève des questions inédites. Le regard sur la Nature, au début du XVIIIème siècle, est celui d’un monde paraissant sans limites offert à une population faiblement densifiée. Le marché au sens de force structurante de la société émerge : certes l’agora grecque, le forum romain et le souk berbère faisait état d’un marché, mais sa portée n’était en rien structurante pour la société dont la plupart des besoins étaient satisfaits par l’autoconsommation. Aujourd’hui, c’est le marché qui structure la société et laisse le peu de temps non contraint à la périphérie de son organisation. Les échanges ville/campagne étaient marginaux et cadrés par des prix coutumiers. Saint Augustin parle du juste prix, mais n’aborde pas de raisons économiques et de calculs de coûts de justification. D’ailleurs, les facteurs de production ne pouvaient livrer peu d’informations sur leurs coûts réels et être en capacité de générer un calcul de prix. Ainsi, le capital est enserré dans des contraintes d’ordre religieux qui condamnent le taux d’intérêt tant chez les catholiques que les musulmans qui en gardent les préceptes. Le temps de travail, faute d’une horloge pour en calculer la durée, ne peut être étalonné. Les rémunérations se fixent à la journée avec cette approximation qu’elle s’étend sur 8 19 Voir une littérature abondante sur le thème : GIDE Charles et RIST Charles, (1947), « Histoire des doctrines économiques », Tome 1, Sirey et Tableau V in ALBAGLI Claude, (2009), « Les sept scénarios du nouveau monde », Coll. MES, L’Harmattan, p. 188. 

heures en hiver, mais 12 heures en été ! La terre dépend le plus souvent du statut de celui qui la détient ou qui cherche à l’acquérir. Elle n’est donc pas librement négociable.

Ce n’est qu’au XVIIIème siècle que commencent à être remplies les conditions : l’intérêt du capital est admis par les protestants avec l’investissement comme multiplicateur de revenus et porteurs de capacités de remboursement. Pour le travail, l’horloge finit par trouver d’autres fonctions que de rythmer les prières et placer le clergé dans une sorte de mouvement perpétuel hors de toutes contingences. C’est désormais à l’usine que les aiguilles vont égrener le décompte du temps rendant possible la mesure de la productivité. Le temps n’est plus simplement, ni l’expression d’un cycle, ni le signe d’un inéluctable vieillissement, il définit une séquence abstraite au sein de laquelle on mesurera la quantité de travail fourni. Il faudra produire toujours davantage dans une même unité de temps. Quand à la terre, elle ne dépendra plus du statut de celui qui la possède ou la désire, mais simplement de la capacité d’achat du nouvel acquéreur. Ainsi, tous les facteurs de productions deviennent accessibles sur un marché libre, ce qui permet d’en délimiter le prix et de définir le coût d’un bien manufacturé. Adam SMITH peut commencer à théoriser sur la science économique pour en devenir le fondateur20. Mais le coût appelle à chaque instant, une nécessité de le réduire sous l’effet de la concurrence. L’une des voies choisies sera d’amortir les coûts fixes par la plus grande quantité de biens produits : la croissance devient un enjeu pour se protéger de la concurrence.

  • La croissance pour compenser le travail libéré par la productivité Les avancées technologiques ont permis de produire en moins de temps qu’il ne le fallait antérieurement et ont entraîné le développement vers de nouvelles activités pour les plages horaires ainsi libérées. N’aurait-il pas été possible de réduire le temps de travail de la société plutôt que d’en faire une valeur cardinale. Les gains de productivité obtenus par une amélioration des techniques et du savoir-faire sur un bien donné auraient pu déboucher sur un partage du travail pour couvrir l’ensemble des besoins essentiels et une extension du temps libre pour s’adonner davantage aux préoccupations fondamentales de l’être, de sa vie familiale, sociale ou religieuse21. Il en a été décidé tout autrement. Un mécanisme s’est imposé : si des besoins essentiels sont satisfaits avec moins de travail, on consacrera le temps libéré à la satisfaction d’autres besoins que l’on étendra et démultipliera au-fur et à mesure des progrès réalisés. Quels en sont les justifications ? On peut en subodorer au moins deux :
  • Le premier relève du contrôle social : que faire d’une population dont le temps contraint serait réduit à quelques heures quotidiennes ? Le temps libre inquiète toujours le Pouvoir, il préfère étendre le champ des besoins tant qu’il ne contrôle pas la société des loisirs22. On s’engagera résolument dans ce processus visant à combler le temps libéré par la quête de nouveau besoins à satisfaire23.
  • Le second est plus impérieux. La croissance se justifiait par la démultiplication des besoins et de leur satisfaction, dans une stimulation gourmande et accumulative des objets qui devait confiner au Bonheur24. Effectivement, « cette idée neuve » à laquelle faisait référence Antoine de SAINT-JUST à la Révolution, n’a pas tardé à être appropriée par les économistes en l’étalonnant à la quantité de besoins satisfaits comme cela fut établi avec le syllogisme de Jean- 20 SMITH Adam (1976), « Recherche sur la nature et les causes de la richesse (1776) », Gallimard, NRF, Coll. Idées.

21 COTTA Alain, (1998), « L’ivresse et la paresse », Fayard.

22 Lorsqu’en France, le gouvernement de Pierre Mauroy instaura la cinquième semaine de congés payés et les 39 heures en janvier 1982, le gouvernement se dota d’un Ministère du temps libre avec André Henry (Mai 1981 Mars 1983) !

23 Le temps de travail se réduit dans notre société contemporaine, mais si on prend soin d’ajouter dans le temps contraint, celui des transports pour aller à son travail, on observe que ce dernier ne cesse de grandir… Il dépasse l’heure et demie dans la région parisienne. Selon une récente enquête de l’Observatoire régional de santé au travail d’Ile-de-France, http://www.evous.fr/Temps-de-transport-moyen-en,1128166.html#jj2xDlk1FHCVk1dc.99

24 SENIK Claudia, (2015), « L'Economie du bonheur », coéd. Seuil-La République des idées. 

Baptiste SAY25. Le Bonheur était proportionnel à la quantité de biens consommés. Claudia SENIK reprendra l’antienne en posant : sans croissance, pas de progression ni d'anticipation... ni de bonheur. Seule la croissance s’avérait en mesure de nourrir cette quête permanente, cette collecte insatiable, cette avidité spasmodique. 

Voici la société industrielle plongée dans une maniaquerie insatiable de collectionneur jamais sevré. La société consumériste avait des horizons infinis, mais la nature avait paru également si généreuse aux yeux des Encyclopédistes que la seule injonction qu’elle semblait devoir supporter, était celle d’en comprendre les mécanismes pour l’exploiter au mieux à la satisfaction des besoins humains. La croissance devenait un horizon perpétuel et indépassable. 

La croissance pour unifier un modèle universel de consommation – Si la première mondialisation visait une conversion religieuse universelle, la seconde s’avérait plus profane, en insérant tous les hommes dans la même Histoire, celle de l’humanité en Progrès. Les pays ayant acquis les avancées les plus décisives dans la Science et les Techniques apparaissaient comme la préfiguration des autres nations en devenir. La première mondialisation sous la double emprise lusitanienne et hispanique se fondait sur un irrédentisme prophétique et évangélique du Salut même si cette expansion n’était pas vierge de préoccupations très chrématistiques. La seconde mondialisation initiée par les explorations française et britannique était porteuse d’un tout autre message : celui du Progrès. Des sociétés plus engagées sur le chemin des productions industrielles et de la prospérité ouvraient la voie aux autres peuples pour qu’ils répandent les bienfaits de la fée scientifique. Cette projection à l’ensemble des peuples de la terre, réalisée sous l’impulsion coloniale, bouleversait l’ordre des civilisations. Jusque-là, chaque civilisation élevait son raffinement dans les usages, sa magnificence dans les palais et temples, sa virtuosité dans les arts pour se draper dans sa suffisance et considérer sa propre civilisation comme indépassable. Ainsi se constituait une mosaïque d’économies-mondes étrangères les unes aux autres par leurs valeurs, leurs structures, leurs coutumes. C’est encore ce que disait l’Empereur QIAN LONG à l’Ambassadeur britannique MACARTNEY (1795) qui se plaignait du désintérêt chinois pour les productions manufacturières inédites alors que les Anglais raffolaient des soies et faïences de l’Empire du Milieu « Bien que leurs tributs soient ordinaires, mon cœur les accepte, l’étrangeté et l’ingéniosité si vantée de leurs inventions, je ne les apprécie pas. Bien que ce qu’ils aient apporté soit sans conséquence, dans ma bonté envers les hommes de l’extérieur, j’ai généreusement donné en retour »26 

Mais cette mise en connexion de l’ensemble des civilisations en bouleversait l’ordre et substituait au foisonnement inventif, une hiérarchisation de chacune sous un unique critère, celui de la maitrise des Sciences et des Techniques et de leurs performances économiques pour leur mise en œuvre. Cette lecture univoque de toutes les sociétés plaquait une seule et même mesure à toute civilisation pour l’évaluait et la reléguait au sous-développement tant qu’elle n’affichait pas une connaissance scientifique suffisante. Il en découlait nécessairement que l’Histoire avait un sens et que chaque communauté selon les critères privilégiés, se plaçait à l’un de ses échelons. Elle incitait toute société à en gravir les degrés et pour cela la croissance devenait une impérieuse et inévitable injonction. Pour la première fois, toute l’humanité se plaçait dans une seule et même Histoire avec la finalité convergente du bien-être des populations... Cette perspective focalisée 25 SAY Jean-Baptiste, (1972), « Traité d’économie politique (1803) », Préface G. TAPINOS, Calmann-Levy. ROBIN Jean-Pierre, « Les économistes mettent le bonheur en équation », Le Figaro, 6 juillet 2007.

26 L’ambassade était issue de la politique d’expansion commerciale menée par William Pitt après la promulgation de l’India Act, qui réorganisait la Compagnie anglaise des Indes orientales (1784) afin d’obtenir l’installation d’un résident permanent britannique à Pékin, la suppression des contraintes commerciales à Canton, l’ouverture de nouveaux ports aux navires anglais. Aucune de ces requêtes ne fut satisfaite. Marx Jacques, « Mandarins hollandais à la cour de Qianlong : l’ambassade Titsingh (1795) dans le système tributaire » Colloque France-Chine de La Rochelle, 2012. 

sur l’acquisition des connaissances et la restructuration sociale devant satisfaire une gamme plus élargie des besoins était sensée procurer le Bonheur, mais elle n’avait qu’un seul viatique : la croissance. 

Nous avions un double mouvement qui portait vers la croissance toutes les sociétés : les plus avancées entendaient satisfaire toujours plus de besoins pour accroître le niveau de Bonheur de leur civilisation tandis que les nations encore dans l’enfance du développement industrielle, se mobilisaient pour accéder à cette société consumériste. La planète était emportée par un seul et même mouvement, celui de croître pour répandre davantage de bienfaits sur ses populations. Le Pouvoir abandonnait sa prédation aux seules fin de la Puissance pour susciter davantage de production qui permette aux populations de se satisfaire de nouvelles Jouissance. C’est cette mise en marche générale pour étendre indéfiniment la demande de biens qui sauva sa mise en œuvre. 

En effet, élargir ses besoins au-delà de ses besoins vivriers transformer la nature de cette demande. Satisfaire une demande vivrière garantissait la survie de la population qui en bénéficiait et la plaçait nécessairement comme à nouveau demandeuse de besoins frumentaires. Mais si cette demande s’élargissait à des biens manufacturés, elle prenait un caractère novateur : un consommateur ayant fait l’acquisition d’un bien n’avait aucune raison de se porter à nouveau acquéreur de ce même bien. Dans les sociétés agraires, la satisfaction de la demande induisait son renouvellement, dans les sociétés industrielles, elle l’éteignait! 

C – LA CROISSANCE COMME ELEMENT DE… STABILISATION ! 

Aucune société ne pouvait se fonder durablement sur des structures aussi fragiles que fugaces. Il fallait trouver une pérennité à la société industrielle mise en œuvre, de telle sorte que la demande ne puisse s’éteindre. On le trouva en posant que tout gain de productivité pour la fabrication d’un bien devait être employé à élargir le marché ou à satisfaire de nouveaux besoins27. Pour s’y résoudre, on développa cinq modes d’expansion des débouchés : 1) le passage d’une consommation de classe à une consommation de masse, 2) la conquête de marchés extérieurs, 3) la réduction de la durée de vie des biens proposés suite à l’usure, 4) l’incitation à rendre obsolescents les produits précédemment convoités et acquis, et enfin, 5) la création incessante de nouveaux besoins devenue aujourd’hui l’un des ressorts fondamentaux de notre société consumériste. 

  • Passer d’une consommation de classe à une consommation de masse, ce fut l’objectif de la production industrielle du XIXème siècle et ce fut rendue possible par la mise en place de la décomposition des tâches par spécialisation, de la mécanisation croissante et de l’organisation du travail à la chaîne. L’accroissement des rémunérations des ouvriers contribua à étendre le marché potentiel et à faire entrer dans la logique consumériste de nouvelles catégories sociales. L’élévation du niveau de vie étendait le marché de biens réservés initialement à quelques couches privilégiées de population. Ford marqua les esprits en clamant qu’il n’augmentait pas tant ses coûts, que le nombre de ses clients quand il accroissait les salaires. La massification de la consommation devint une marque des sociétés industrielles. Mais lorsque l’ensemble de la population avait acquis ce qui n’était réservé autrefois au plus fortunés, on se retrouvait devant le même questionnement : que faire de l’outillage industriel et de sa main d’œuvre manufacturière quand la demande venait à être saturée ? Il fallait trouver d’autres sources d’extension. 
  • Conquérir les marchés extérieurs constitue donc une extension de la massification de la Pour dépasser les limites contraintes d’un marché intérieur limité par la taille 27 ALBAGLI Claude, (2009), « Les sept scénarios du nouveau monde », Coll. MES, L’Harmattan. 

de sa population, il fallait tenter de se projeter vers l’extérieur pour ouvrir de nouveaux marchés susceptible d’entretenir la structure sociale et industrielle mise en œuvre. Cette étape n’avait pas échappé à Lénine qui la qualifiait imprudemment de phase ultime du capitalisme !28 La conquête des marchés extérieurs se fit parfois fébrilement et les Etats de sociétés industrielles n’eurent pas de réticences à diligenter une politique de la canonnière pour ouvrir les ports aux activités commerciales. Cette rudesse dans l’exécution fut illustrée par les confrontations avec la Chine ou le Japon au milieu du XIXème siècle qui fermaient leurs ports aux étrangers. Mais au final, l’extension était contenue par un pouvoir d’achat limité tant que ces pays ne s’engageaient pas sur la voie du développement. Une fois saturés les marchés intérieurs et extérieurs, la problématique risquait de retomber sur les mêmes enjeux : que faire de sa capacité industrielle sans autres débouchés ? Limiter la pérennité des biens manufacturés par l’usure fut une troisième approche plus tardive qui prit son essor dans les années soixante au XXème siècle. L’objectif industriel était clair : il s’agissait de fabriquer des produits dont la durée devait être limitée pour accélérer le retour des consommateurs dans les centres de distribution. L’expérience fut menée avec un certain succès dans quelques secteurs comme les équipements électroménagers. Les appareils étaient conçus pour une durée de vie limitée avec des coûts de réparation dissuasifs en cas de panne. On accompagna ce dispositif par un renouvellement des gammes de produits pour assortir les nouvelles collections d’innovations techniques et de « design » Les consommateurs étaient alors engagés à ne plus hésiter pour renouveler leur équipement défaillant. L’industrie italienne se dota d’une solide réputation de biens peu onéreux, mais à durée de vie éphémère. Toutefois, le biais écologique des analyses industrielles rendit ce processus discutable, car il gaspillait les ressources. Une utilisation plus parcimonieuse s’imposait pour un développement plus durable29. Mais, indépendamment de cette réserve, ce processus ne pouvait être le support d’entretien de toute la dynamique industrielle. D’autres méthodes devaient s’imposer.

Favoriser l’abandon du bien par obsolescence programmée fut un moyen plus judicieux et plus considérable que ne pouvait l’être une mise au rencart par défaillance. Il s’agissait tout simplement de déplacer l’intérêt d’un bien précédemment acquis. Cela pouvait se faire par la médiatisation du dénigrement et par l’archaïsme technologique. Dans l’habillement, on organisa une obsolescence de plus en plus rapide, par la démultiplication des modes se chassant les unes après les autres au rythme des années, des saisons, puis des demies-saisons. Dans les produits médiatiques, la télévision ajoutait sans cesse une innovation (la couleur, le magnétoscope, les angles de l’écran, l’écran plat, les 3 D, …) pour inciter les consommateurs à changer leur produit avant même qu’ils ne cessent de fonctionner. L’obsolescence était organisée à grande échelle par une médiatisation renforcée incitant les consommateurs à s’ajuster aux goûts du moment et à abandonner au plus vite les biens qu’on les avait incités à acheter et pour lesquels les consommateurs avaient pourtant consacré une part de leurs revenus30. Le système était beaucoup plus efficace qu’une durée de vie restreinte programmée, le couplage médiatique était indispensable. Mais celui-ci pouvait jouer un rôle encore plus décisif en portant sur les besoins eux-mêmes. 

Créer sans cesse de nouveaux besoins à satisfaire fut l’atout maître de la société dite de consommation. Le système productif n’avait plus vocation à satisfaire des besoins 28 LENINE, (1976), « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », Editions sociales, Editions du Progrès, Classiques du Marxisme Léninisme.

29 COMELIAU Christian, (2006), « La croissance ou le progrès ? Croissance, Décroissance, Développement durable », Seuil.

30 LIPOVETSKI Gilles, (2001), « L’empire de l’éphémère, la mode et son destin dans les sociétés modernes », Gallimard, Folio Essais. 

prévalant dans une société donnée, mais à créer de toutes pièces, de nouveaux besoins pour les satisfaire, quitte pour le système économique à rendre cette demande solvable. La création incessante de nouveaux besoins donnait à l’appareil industriel des opportunités infinies pour inciter les consommateurs à revenir dans les galeries marchandes. Dés lors, le système industriel n’avait plus à redouter l’épuisement des débouchés, la gamme de biens et services susceptibles d’être proposés, n’avaient plus que l’imagination comme limites. Les fondements de ce type de société étaient apparus aux Etats-Unis avant que n’éclate la Seconde Guerre Mondiale, ils se sont étendus à l’Europe et au Japon, puis dans tous les centres urbains de la planète. Le renouvellement des objets de mode est incessant : console de jeux, Smartphones, GPS, drone photographique, etc. La société consumériste a renversé les termes de sa mission et de sa justification : il ne s’agit plus de répondre à la demande de besoins de nature pérenne préexistants, mais de créer des besoins désirables que le système social rendra indispensables avant que le système industriel ne satisfasse cette attente31. Les consommateurs se lance dans une course haletante toujours inassouvie, lui donnant sans cesse l’occasion de retourner dans les boutiques pour expérimenter la satisfaction d’autres besoins que la publicité leur a révélés. Le succès de cette démarche semblait devoir être infini puisqu’il était en mesure de stabiliser une organisation sociale industrielle. Mais cette expansion infinie des besoins couplée avec l’accès à un nombre toujours plus grand de consommateurs issus de tous les continents venait heurtait une évidence occultée, la limitation des ressources de notre planète. 

La croissance qui n’avait guère d’intérêt dans les logiques des civilisations agraires s’était imposée comme une valeur centrale des sociétés industrielles à laquelle tous les gouvernements réservent des psalmodies incantatoires pour stabiliser l’emploi national. La puissance de celle-ci qui a démultiplié populations et besoins semble priver d’avenir pour un monde saturé et surexploité. Le paradigme de la croissance est-il épuisé ? 

Conclusion

 

Du début de l’ère chrétienne à l’orée du XVIIIème siècle, le monde s’est gonflé de 400 millions d’habitants, soit une vingtaine par siècle tandis que ces deux derniers siècles, la population s’est accrue de 6 milliards d’individus et qu’il ne faudra que moins de cinq décennies pour en compter 3 milliards de plus... L’homme a envahi la quasi totalité de l’espace vital de la planète aux dépens des autres espèces qui s’éteignent en faisant supporter une demande colossale pour satisfaire les besoins les plus élémentaires32. Or, tandis qu’une fraction de la population veille à assurer le maintien de sa structure industrielle sous les effets de la croissance, un milliard d’individus se débat dans la disette, les bidonvilles, l’insécurité, la non-scolarisation et l’absence d’un minimum de couverture sanitaire… Or, la surexploitation des ressources appelle une déconstruction du modèle de croissance puisqu’en l’état, les indices d’un réchauffement climatique s’affirment, que l’épuisement des ressources énergétiques et minérales s’annonce et que la pollution de notre environnement est déjà actée33. D’autres paradigmes davantage frugaux, plus sobres, et plus vertueux peuvent-ils émerger sans remettre en cause les grands équilibres sociaux ? Est-il possible maintenant de choisir un modèle économique qui, devant la raréfaction des ressources, puisse de départir de la croissance, sans se départir des logiques qui en avaient assuré l’expansion et le succès ? 34 

La croissance ne serait-elle qu’une valeur provisoire portée par trois siècles de progrès fous ? Le progrès lui-même vacille en ne fournissant plus les promesses créatrices d’emplois. On s’interroge aujourd’hui sur la capacité de la troisième révolution industrielle à recréer les 

31 BAUDRILLARD Jean, (1970), « La société de consommation », Gallimard, Coll. Folio Essais.

32 EHRLICH Paul Ralph, (1972), « La Bombe P » (1968), Fayard.

33 ORSENNA Erik et le Cercle des Economistes, (2007), « Un monde de ressources rares », Edition Perrin, Tempus.

34 LATOUCHE Serge, (1986), « Faut-il refuser le développement ? », PUF. 

emplois qu’il détruit dans les autres secteurs. La pensée devient brouillonne, les discours font une double référence incantatoire au développement durable par évidence factuelle, au recours à la croissance par espérance d’employabilité. Mais la cohérence de cette conjugaison reste bien fragile. Nous voici positionnés à nouveau sur les questionnements de John Stuart-Mill qui après le bond inédit des révolutions agricoles et industrielles qu’il observait, s’interrogeait sur le contenu d’un nouvel état stationnaire qu’il présageait35. La croissance aura été un paradigme aux espérances prométhéennes, berçant les rêves de trois siècles de Bonheur attendu, mais se fracassant sur la réalité d’un monde fini, incompatible avec l’explosion démographique et la déflagration de besoins. La reconversion de notre monde à des valeurs plus frugales ne devrait pas être une affaire si simple… 

 

Bibliographie 

  1. ALBAGLI Claude, (1989), « L’économie des dieux céréaliers », L’Harmattan.
  2. ALBAGLI Claude (2001), « Le surplus agricole, De la puissance à la jouissance », Coll.
  3. MES, L’Harmattan.
  4. ALBAGLI Claude, (2009), « Les sept scénarios du nouveau monde », Coll. MES, L’Harmattan.
  5. ARIES Paul, (2008), « La décroissance : un nouveau projet politique », Golias. AUSTRUY Jacques, (1965), « Le scandale du développement », Marcel Rivière. BAIROCH Paul, (1992), « Le tiers monde dans l’impasse », Poche.
  6. BAUDRILLARD Jean, (1970), « La société de consommation », Gallimard, Coll. Folio Essais.
  7. BOSERUP Ester, (1970), « Evolution agraire et pression démographique », Flammarion. COMELIAU Christian, (2006), « La croissance ou le progrès ? Croissance, Décroissance,
  8. Développement durable », Seuil
  9. COTTA Alain, (1998), « L’ivresse et la paresse », Fayard.
  10. DELAUNAY Janine, MEADOWS Donella, (1972), « Halte à la croissance ? Enquête pour le Club de Rome », Fayard.
  11. DUBY Georges, (1978), « Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme», Gallimard.
  12. DUMEZIL Georges, (1982), « L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens », NRF.
  13. EHRLICH Paul Ralph, (1972), « La Bombe P » (1968), Fayard.
  14. FOURASTIE Jean, (1979), « Les trente glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975 », Fayard.
  15. GESUALDI Francesco, (2005), « Sobrieta, Dallo spreco di pochi ai diritti per tutti », Feltrinelli, Milan.
  16. GIDE Charles et RIST Charles, (1947), « Histoire des doctrines économiques », Tome 1, Sirey
  17. LATOUCHE Serge, (1986), « Faut-il refuser le développement ? », PUF. LATOUCHE Serge, (2006), « Le pari de la décroissance », Fayard.
  18. LENINE, (1976), « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », Editions sociales, Editions du Progrès, Classiques du Marxisme Léninisme.
  19. LIPOVETSKI Gilles, (2001), « L’empire de l’éphémère, la mode et son destin dans les sociétés modernes », Gallimard, Folio Essais. 
  20. 35 MAILLEFER Etienne, (1999), « L’état stationnaire : tendance historique ou fiction analytique » in « Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre GERN, Dialectiques économiques », Université de Neuchâtel. STUART-MILL John, (1861),
  21. « De l’utilitarisme ». STUART MILL John, (1848), « Principes d’Economie Politique ». STUART MILL John, (1843),
  22. « A system of logic, ratiocinative and inductive », Kindle Edition. 
  23. MAILLEFER Etienne, (1999), « L’état stationnaire : tendance historique ou fiction analytique » in « Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre GERN, Dialectiques économiques », Université de Neuchâtel.
  24. ORSENNA Erik et le Cercle des Economistes, (2007), « Un monde de ressources rares », Edition Perrin, Tempus.
  25. PERROUX François, (1961), « L’économie du XXème siècle », PUF.
  26. RICARDO David, (1977), « Des principes de l’économie politique et de l’impôt (1817) », Flammarion, Coll. Champs.
  27. SAY Jean-Baptiste, (1972), « Traité d’économie politique (1803) », Préface G. TAPINOS, Calmann-Levy.
  28. SENIK Claudia, (2015), « L'Economie du bonheur », coéd. Seuil-La République des idées. SMITH Adam (1976), « Recherche sur la nature et les causes de la richesse (1776) »,
  29. Gallimard, NRF, Coll. Idées.
  30. STUART-MILL John, (1861), « De l’utilitarisme ».
  31. STUART MILL John, (1848), « Principes d’Economie Politique ».
  32. STUART MILL John, (1843), « A system of logic, ratiocinative and inductive », Kindle Edition. 

Articles

  1. FEIERTAG Olivier « L’apogée de l’économie nationale », La Documentation Française, N° 8081, 2011.
  2. FITOUSSI Jean-Paul, (1996), « La croissance a-t-elle un avenir ? » Revue Politique Internationale, N° 72, Eté.
  3. ROBIN Jean-Pierre, « Les économistes mettent le bonheur en équation », Le Figaro, 6 juillet 2007.

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